Orange conteste la mise en demeure de l'Arcep sur les zones Amii
Orange a saisi le Conseil d'État sur la constitutionnalité de l’article L33-13 invoqué dans la mise en demeure de l’Arcep sur la complétude des zones Amii. Devant les sénateurs, la présidente de l’Arcep a exprimé mercredi 8 février 2023 sa colère et son impuissance face à une stratégie qui cherche selon elle à jouer la montre. Et les premiers à en pâtir sont les habitants des zones Amii d'Orange...
Orange aura donc mis sa menace à exécution. Comme annoncé aux sénateurs de la commission des Affaires économiques le 30 novembre 2022 (notre article du 30 novembre 2022) la directrice générale d’Orange, Christel Heydemann, a déposé un recours devant le Conseil d'État pour contester le pouvoir de régulation de l’Arcep.
Demande de question prioritaire de constitutionnalité
Face aux retards observés dans les quelque 3.000 communes qu'Orange s’était engagé à totalement couvrir en fibre au titre de ces engagements Amii, l'Arcep lui a adressé une mise en demeure en mars 2022, assortie d’une menace de sanction si l’opérateur ne rectifie pas le tir. L’opérateur conteste cette mise en demeure et avance, dans une demande de question prioritaire de constitutionalité (QPC) déposée début février au Conseil d'État, que le pouvoir de sanction de l’Arcep au titre de l’article L33-13 du Code des procédures civiles d'exécution (CPCE) "porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre". L'opérateur conteste par ailleurs le référentiel utilisé par l'Arcep pour calculer ses obligations de déploiement. En 2011, l'opérateur s’était engagé à déployer la fibre dans 11 millions de foyers. En 2018, l'État a décidé de signer une convention avec l’opérateur, rendant opposables les déploiements au titre du L33-13 du CPCE. Pour tenir compte de l’évolution de la population, il faisait aussi passer le nombre de locaux à raccorder de 11 à 13 millions. C’est sur cette base de 13 millions – contestée par Orange – que l’Arcep observe un retard avec une moyenne de 88% de logements rendus raccordables au dernier trimestre 2022. L’Arcep note en outre depuis plusieurs mois un ralentissement des déploiements en zone Amii.
Orange cherche à gagner du temps
Interrogée sur ce dossier par les sénateurs de la délégation aux collectivités territoriales mercredi 2 février, la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière, a estimé que l’opérateur cherchait avant tout à "gagner du temps et à retarder la décision du Conseil d'État sur la mise en demeure, voire à empêcher qu’il se prononce sur le fond". Car conformément à la procédure, le Conseil d'État a trois mois pour envoyer ou non la QPC au Conseil constitutionnel, ce dernier disposant à son tour de trois mois pour statuer. "Doit-on comprendre que les engagements d'Orange n’avaient pas de valeur en 2018 ? Que de nombreux habitants de Brive-la-Gaillarde, les Sables-d’Olonne, la Roche-sur-Yon et de bien d’autres communes en zones Amii vont devoir attendre encore longtemps la fibre ? Doit-on comprendre qu’Orange défie les objectifs assignés à la régulation par le Parlement et souhaite couper le sifflet du régulateur ?", a fustigé Laure de La Raudière, particulièrement remontée contre l’opérateur. Sur les obligations de couverture, la présidente de l’autorité a en outre rappelé que la "nature des engagements pris par Orange ne fait aucun doute. Il s’agit d’un engagement de couverture d’une liste de communes qui doit être complète à une date donnée", a t-elle estimé, ajoutant que les élus l’interprétaient également ainsi.
Avouant son impuissance face à un dossier qui risque de trainer, Laure de La Raudière a dit soutenir l’idée de renforcer les pouvoirs de sanction de l’Arcep, comme le prévoit la proposition de loi de Patrick Chaize. On peut aussi espérer qu’Orange se ravise, l’opérateur ayant déjà tenté une QPC en 2019 avant de changer d'avis (notre article du 5 septembre 2019).
Le cadre du décommissionnement du cuivre en ligne de mire ?
Le ralentissement des déploiements de la fibre en zone Amii, également observé dans les zones denses (non régulées), peut paraitre à première vue paradoxal. Car selon le cadre posé par l’Arcep, la première condition à remplir pour démarrer le chantier de décommissionnement du cuivre dans une commune est qu’elle soit totalement fibrée. Une clause que l’opérateur historique veut cependant revoir, comme il l’a indiqué clairement dans sa feuille de route de novembre 2021 (notre article du 8 février 2022). En ralentissant les déploiements, Orange semble donc tenter la politique du fait accompli. L’autre sujet est celui du financement des raccordements longs : Orange comme XP-fibre (SFR) souhaitent obtenir des subventions publiques pour financer les dernières prises qui sont souvent les plus coûteuses. Pour le moment les 500 millions d’euros mobilisés par le gouvernement sont réservés exclusivement aux zones RIP. En 2011, le 100% ne faisait pourtant aucun doute comme en témoignent les courriers envoyés par les opérateurs aux collectivités des zones Amii.